Entre froids de janvier et détresse familiale, il faut parfois savoir faire une pause. Avec des bonbons au coquelicot, une fleur qui a presque disparu de nos jours car elle a été éradiquée par l’ire des agriculteurs et les produits chimiques, mais qui rappellera de bons souvenirs aux plus anciens d’entre nous… Car le coquelicot, fleur éphémère qui meurt quasiment immédiatement si on coupe la tige, est une fleur qui évoque la fragilité et symbolise l’amour.
La colline aux coquelicots, deuxième film de Goro Miyazaki, s’inscrit dans cette thématique, en se basant sur un manga shojo du même nom paru en 1980 au Japon (et chez nous depuis janvier chez Delcourt/Akata, en 1 seul volume en plus, rha ça pousse à la consommation ça >_<).
L’histoire de La colline aux coquelicots repose sur Umi et Shun, qui se découvrent grâce à un poème au coin du journal de leur lycée.
Umi est une jeune fille discrète qui s’occupe d’une sorte de pensionnat réservé aux femmes, au sommet d’une colline verdoyante en face de la mer. Tous les matins et tous les soirs, elle prépare les repas pour les trois pensionnaires et deux membres de sa famille, sa grand-mère et sa soeur. Les deux filles, orphelines de père, sont habituées à rester avec leur grand-mère, car leur mère, universitaire, part souvent à l’étranger.
En l’honneur de son père, marin décédé pendant la guerre de Corée, Umi monte tous les matins deux pavillons marins sur un mât devant la maison (bien visible par les bateaux qui navigent en contrebas) et les descend le soir… Là commence sa relation avec Shun. En effet, celui-ci, qui vient tous les jours au lycée par bateau avec son père et passe devant la maison d’Umi a bien remarqué les drapeaux qui flottent tous les jours. Il y répond par les siens, sans que Umi les aperçoive, car elle prépare le petit déjeuner.
Cette situation peut durer longtemps, surtout si on ne fait pas d’omelettes avant… Le poème dans le journal de l’école est l’élément déclencheur de l’histoire et de l’attirance entre les deux jeunes gens, mais aussi le prétexte tout trouvé pour faire découvrir au spectateur le Quartier latin, autrement dit le foyer du lycée, d’extérieur assez baroque (bon, ok, l’endroit est plutôt vieux et délabré en fait xD). Umi va découvrir à l’intérieur tout un univers, géré par les étudiants actuels du lycée, qui gardent également assez jalousement tout le fatras laissé par les anciennes générations. Le directeur actuel, peu sensible à toutes ces traces du passé, veut tout raser pour construire un foyer neuf.
Le représentant des élèves, qui gère avec Shun le journal du lycée, décide de ne pas se laisser faire et de riposter face à cette attaque, tout en entraînant Umi dans l’action projetée… Avec effet collatéral de les rapprocher l’un de l’autre.
Ce film m’a beaucoup plu, par son intrigue simple (j’avais envie de choses simples) mais limpide et assez prévisible. Donc, si vous cherchez un film à l’intrigue recherchée, vous serez déçus. La colline aux coquelicots n’a pas pour but d’en mettre plein la vue au spectateur avec des retournements de situation ; les lecteurs assidus de mangasses pour filles auront sniffé à 3 kilomètres la grosse corde qui sous-tend le film. Corde parfumée au coquelicot, ce qui ne gâche rien :p
En fait, l’intérêt du film n’est pas tant à chercher dans l’histoire que dans la description de la vie quotidienne dans les années 60. Umi qui prépare le riz du matin juste après son réveil, son arrivée dans les vieux bâtiments du lycée, tous en bois, ses relations avec les adultes, le foisonnement de la vie lycéenne (les révoltes étudiantes de la fin des années 60 ne sont plus très loin) tout cela emprunte à la nostalgie d’un autre temps qui n’existe plus. Enfin, si tant est qu’elle existe vraiment! Le réalisateur, Goro Miyazaki, est né après les évènements décrits dans ce film (en 1967), que l’on peut facilement situer aux alentours des années 1962-1963. Le réalisateur n’a donc pas vécu cette période juste avant les J.O. de Tokyo en 1964 et a largement inventé ce que devait être la vie quotidienne de cette époque. Voir une montre au poignet de Shun (ça m’a choquée en fait xD), des embouteillages dans les rues (la voiture coûtait CHER à cette époque, un rein ne devait pas suffire je pense), des relations aussi informelles entre garçons et filles ne doit pas ressembler au vécu de cette époque (à moins que je me trompe lourdement).
Toutefois, ce mélange entre la vie réelle et imaginée de cette époque ne choque pas du tout et conforte cette impression de rêve éveillé colportée par le Quartier latin. En effet, cette caverne d’Ali-Baba, qui fait fortement penser à l’auberge du Voyage de Chihiro, accueillant à la fois de grands rêveurs, des pragmatiques et des doux dingues de toutes sortes, est le pilier du film. Sa destruction programmée, comme un rappel à la dure réalité et aux changements drastiques qui ont lieu à cette époque (reconstruction du pays, industrialisation, recherche du profit et de la croissance), est largement refusée chez les héros du film (à contre-courant de la majorité des lycéens, d’ailleurs, montrant l’ambivalence idéologique de cette époque), qui vont tout faire pour que le rêve de plusieurs générations passées de lycéens reste bien vivace, placées sous le symbole d’un nom porteur de culture. J’ai beaucoup aimé l’ambiance qui se dégageait de ce foyer, qui porte bien son nom (à l’époque, les valeurs de l’Occident étaient valorisées et étudiées au Japon, dont celle de la France, pays d’artistes et de création… Je crois que ça a un peu changé depuis, même si chez certains, la France reste un pays mystique, LOL)
J’ai aussi cru remarquer qu’à travers ce film Goro Miyazaki essaie de faire passer un message, à la fois en direction des spectateurs que du studio Ghibli. En effet, le message du film est un message d’espoir et de renouveau à travers la jeune génération, qui a compris le passé et construit son futur sur ces bases anciennes. Est-ce un message du fils aux fondateurs du studio et au public, en disant “j’ai bien compris ce qui n’allait pas dans mes débuts, j’ai appris de vous et prends par ce film l’héritage de tout le studio”? (même si j’ai l’impression que ce film est moin bien fait niveau animation, ça lag sur les passages fixes avec trucs qui bougent dedans )
Le film emprunte en effet à la fois aux films de Takahata comme Souvenirs goutte à goutte. Comme si La colline aux coquelicots répondait aux évènements survenus dans l’enfance de l’héroïne de Souvenirs goutte à goutte et se plaçait en chaînon manquant entre ce film et Le Tombeau des Lucioles. Les hommages à Miyazaki sont aussi nombreux (attention, papa est au scénario, faut faire attention hein è_é), notamment l’apparence du Quartier latin, avec un foisonnement typique de Miyazaki, une des pensionnaires clone de Lettie Chapelier dans Le château ambulant… Mais surtout le gros “GHIBLI” inratable sur le bateau de l’ami d’enfance du père de Shun et d’Umi (ça m’a fait penser à Porco Rosso) qui marque le film de façon indélébile et le place d’office dans la lignée des films du studio.
Bref, beaucoup de choses à dire sur ce film, qui marque un tournant dans la production Ghibli, mais est aussi un très bon film à voir au cinéma. Il est d’ailleurs encore à l’affiche, courez-y vite et en VOST bien sûr, hein!
Je n’ai pas lu le manga dont est tiré ce film, il faudrait que je le trouve… Enfin, là je suis occupée à réduire mon retard sur One piece et en sommeil, ça risque de prendre du temps o/